
LE CERCLE PHILOSOPHIQUE REUNIONNAIS :
LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES
DU DEVELOPPEMENT DURABLE
Texte de mon intervention
« Notre économie globalisée dépasse la capacité de la planète à la soutenir, poussant notre civilisation de ce début de 21ème siècle vers le déclin et peut-ê

Lester Brown
COLLOQUE DU 4 AVRIL 2009
Préambule
Le concept de Développement Durable est omniprésent dans les discours, dans les médias, dans notre environnement culturel, c’est certainement pourquoi il suscite souvent des réactions sceptiques ou résolument critiques.
Pour les uns, le DD n’est qu’une forme très réussie de greenwashing, un habillage rhétorique, une opératio

Une autre réaction plus critique et radicale, voit dans le DD un nouvel avatar de la domination exercée par les pays riches sur les pays pauvres, c’est la thèse soutenue par la géographe Sylvie Brunel pour qui le DD est une forme un peu sournoise de recolonisation sous couvert d’écologie, une façon de dire aux pays pauvres, vous n’avez pas de chance, vous avez raté la société d’abondance, maintenant c’est trop tard . Ce n’est pas un hasard si c’est principalement dans les pays riches que la théorie de la décroissan

Certes, ces critiques recouvrent une part de vérité mais elles méconnaissent ce que peut avoir de nouveau un tel concept. C’est ce que je me propose de montrer en prenant donc le parti de l’accusé. Le concept de DD, c’est en tout cas ce que je vais m’efforcer de démontrer, n’est pas un oxymore douteux servant à préserver un statu quo, il contient en germe une critique du développement économique classique, il prépare le terrain pour une révolution démocratique dans les mentalités en faveur d’une éco-économie pour reprendre l’expression de Lester Brown, une nouvelle économie dont on commence à peine à dessiner les contours.
LA CRISE ECOLOGIQUE
La prise de conscience des destructions environnementales commises par les hommes ne sont pas nouvelles, au 4

La crise écologique actuelle, profonde au point qu’elle affecte notre façon de penser la société, se caractérise par quatre traits dominants :
• Elle est d’abord planétaire. Le changement d’échelle est spectaculaire, aucun endroit du monde n’est préservé. Le fameux nuage de Tchernobyl en est le révélateur parfait, les frontières n’existent plus. Aucun individu n’est préservé. En une cinq

• Deuxième caracté

• Troisième trait distinctif, l’imprévisibilité des effets sur le moyen et surtout le long terme. Dominique Bourg, philosophe contemporain, donne l’exemple des CFC (les chlorofluorocarbures)

• Enfin, dernière caractéristique, l’inertie ou plus exactement, l’indécision politique. D’une part, les effets étant planétaires, les décisions sont plus complexes à mettre en œuvre, d’autant plus que les lobbies industriels ont une influence non négligeable sur les décideurs politiques, on l’a vu aux Etats Unis où le gouvernement Bush était en relation étroite avec les lobbies pétro industriels, d’autre part, en terme d’environnement, les résultats escomptés ne sont jamais visibles immédiatement, c’est donc un secteur électoralement peu intéressant pour les hommes politiques.
LE RAPPORT BRUNTLAND
En 1983, l’Assemblée Générale des Nations Unies décide de créer une Commission mondiale sur l’environnement et le développement. C’est Mme Bruntland, premier ministre de la Norvège qui présidera la dite commission à l’origine du fameux rapport Bruntland publié en 1987 dans lequel apparaît le concept de Développement Durable.
Ce document fait un inventaire assez complet, il y a donc plus de vingt ans, des menaces qui pèsent sur l’équilibre écologique de la planète : déforestation, dégradation des sols, effet de serre,

Le Rapport propose une définition du concept de DD : c’est, je cite, « Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Comme l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs, une telle définition pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Le terme « développement » est à prendre ici dans son sens usuel de développement économique, politique et social.
L’idée nouvelle, c’est de promouvoir un développement durable contre un développement dont on se rend compte qu’il ne l’est pas. Le terme anglais (sustainable) utilisé dans le texte original qu’on peut aussi traduire par « soutenable », ce qui est plus significatif que « durable », ce terme donc, implique l’idée d’un développement vivable (soucieux de l’environnement), viable (efficace sur le plan économiquement) et équitable (soucieux de la dimension sociale). Il ne s’agit pas seulement de « sauver » la planète en continuant à produire de manière différente mais aussi de favoriser le développement au présent des plus pauvres. C’est là l’une des plus grandes difficultés du DD : comment concilier ces deux objectifs, comment prétendre vouloir « développer » de manière « durable » et s’en tenir à un modèle de développement assujetti au critère du taux de croissance du PIB ?
La notion de besoin n’est pas non plus clarifiée : parler des besoins des générations du présent ou de celles du futur, suppose qu’on soit capable de définir ceux-ci, or, le rapport Bruntland reste silencieux sur ce point. D’une part, les besoin

Cette première définition du DD sera précisée dans les textes publiés lors du Sommet de Rio (nommé aussi le Sommet de la Terre) en 1992 avec notamment l’affirmation des trois piliers : économique, social et environnemental. La question est de savoir comment concilier les trois ?
S’agit-il d’un nouvel avatar de la mythologie occidentale du progrès ? Ces fameux trois piliers ne sont-ils pas au fond une sorte de trépied magique comme le note ironiquement Sylvie Brunel ? Il est possible effectivement de le considérer comme tel si on privilégie le substantif « développement », on peut ainsi noter que lors du Sommet de Rio en 1992, l’accent est surtout mis sur l’environnement et l’impératif de « sauver la planète », bref, le pilier social apparaît comme un peu le parent pauvre. Néanmoins le concept de développement durable poursuit son existence et se leste progressivement d’un contenu plus critique. Le « durable » travaille d’autant plus le concept de développement que la crise écologique devient plus aiguë. Pour le dire autrement, avec le concept de DD, le développement se prend lui-même comme objet, comme problème : il est auto réflexif pour reprendre l’expression de Ulrich Beck. Le durable subvertit le développement.
LA MODERNISATION REFLEXIVE
Nous sommes entrés dans ce que Beck appelle la « modernisation autoréférentielle » ou encore la « modernisation réflexive » qui caractérise la Société du risque pour reprendre le titre de son ouvrage majeur paru en 1986. Ironie de l’histoire, 1986, c’est l’année de Tchernobyl.
1) Que signifie cette expression, « modernisation réflexive » ?
L’auteur introduit une distinction essentielle entre la première modernisation industrielle (Marx) et ce qu’il appelle la « modernisation réflexive » ou seconde modernisation, la nôtre.
Brièvement on peut dire que désormais les maux, les menaces, les dangers encourus ne sont plus perçus

La « modernisation réflexive » est donc une remise en cause profonde des bases de la société industrielle qui constituait la première modernisation selon Beck. Je le cite : « Contrairement à toutes les cultures et à toutes les phases d’évolution antérieures, la société est aujourd’hui confrontée à elle-même. »
Nous étions habitués à penser la modernité dans les catégories de la société industrielle, aujourd’hui, la modernité dans sa seconde phase, s’en prend à elle même, et pour cela elle st obligée de s’en prendre aux prémisses de la société industrielle.
« Les sources du danger ne sont plus l’ignorance, mais le savoir, plus une insuffisante maîtrise de la nature, mais une maîtrise perfectionnée de cette même nature, plus ce qui s’est soustrait à l’intervention humaine, mais le système de décision et les contraintes objectives nées avec l’ère industrielle »
2) Le concept de société industrielle ou de société de classe de Marx à Weber tournait autour du problème de la répartition des richesses : comment la richesse produite par la société peut-elle être répartie de manière socialement inégale et légitime à la fois ? C’est encore la question que posent à l’échelle mondiale dans le contexte d’une opposition entre l’Occident capitaliste et les pays non ou peu développés, les doctrines du développeme

LE MYTHE DU DEVELOPPEMENT
Gilbert Rist dans un ouvrage désormais classique a écrit l’histoire de la croyance occidentale en l’idée du développement : il a notamment montré l’émergence de cette notion dans l’immédiat après guerre

C’est ce substrat théorique des doctrines du développement qui m’intéresse. Car la théorie du DD n’a pas rompu avec cet idéal du bonheur matériel. Certes, le fait de parler de développement « durable » c’est prendre conscience que le développement promu jusqu’ici n’est pas durable. Mais le rapport Bruntland même s’il affirme que des « choix douloureux s’imposent», ne dit jamais qui doit faire ses choix douloureux et préconise d’autre part, une croissance de

Quoiqu’il en soit, le concept de DD quelles que soient les intentions de ceux qui l’ont conçu, apparaît au

La croissance du PIB est totalement indifférente au bien-être et à la qualité de la vie, le PIB ne mesurant ni les atteintes à l’environnement, ni les agressions infligées aux individus par le développement industriel. Le mérite du DD est de poser clairement la question des externalités de la croissance, c’est à dire des coûts cachés du développement économique.
Le PIB est une mesure purement quantitative mais elle est au fondement de la société occidentale, la remettre en question, c’est prendre le risque de remettre en cause un « style de vie » auquel peu d’occidentaux sont prêts à renoncer.
LA SOCIETE DE CONSOMMATION DE MASSE

La mondialisation des échanges permet de prélever les ressources (bois, pétrole, eaux) dans un pays, de les consommer ou utiliser dans un autre plus riche et d’en évacuer les déchets ailleurs encore, soit un autre pays plus pauvre soit dans la nature. Ce morcellement a comme effet que le consommateur pollueur ne perçoit pas directement les effets de la consommation. Il peut même se croire vertueux s’il se contente de pratiquer les éco-gestes prescrits par les agences en charge de l’environnement.
Ce qui apparaît de plus en plus contradictoire avec le caractère durable ou soutenable du développement, c’est notre modèle social, économique mais aussi culturel, la société de consommation de masse. Ce modèle ne se réduit pas à produire massivement des biens matériels ou immatériels, il ne se réduit pas à la sphère écono

Baudrillard : « C'est ainsi qu'il faut lire l'immense gaspillage de nos sociétés d'abondance. C'est lui qui défie la rareté et qui signifie contradictoirement l'abondance. C'est lui dans son principe et non l'utilité, qui est le schème psychologique, sociologique et économique directeur de l'abondance »
Le mot d’ordre de la Société de Consommation de Masse parodie le principe marxiste : là où Marx justifie le communisme au nom d’une promesse de vie meilleure, « à chacun selon ses besoins », la société de consommation de masse proclame fièrement : « à chacun selon ses faux besoins ».
Tout le mo

Peut-on penser la possibilité d’une société de consommation sobre, sobre dans sa dépense énergétique mais aussi sobre dans sa consommation ? Il est significatif que l’on promeuve le développement « durable » à une époque où on produit en masse des biens jetables ou dont la durée de vie est de plus en plus brève.
L’expression « DD » doit son succès à une ambiguïté manifeste : pour les écologistes, l’expression signifie que le volume des biens produits doit rester supportable par l’écosystème et que l’énergie utilisée et consommée soit renouvelable à l’infini. Pour d’aut

LE PRINCIPE RESPONSABILITE
Ainsi le concept de responsabilité qui est, à mon sens, au cœur de la problématique du DD. Ce dernier s’appuie en effet sur une conception renouvelée de la responsabilité. J’évoque ici, brièvement Hans Jonas auteur du « Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique ». Être responsable, c’est répondre de ses actes, c’est le propre de l’homme, la responsabilité découle de notre pouvoir et de notre liberté.
Les sociétés


La peur joue selon Jonas un rôle heuristique, elle est féconde en ce sens qu’elle nous ferait prendre conscience des dangers pesant sur la nature et sur les générations futures en les « éprouvant » en quelque sorte et contribuerait ainsi à forger cette responsabilité élargie. Cette responsabilité ne se manifeste pas seulement au plan éthique, elle a des implications politiques.
LA POLITIQUE
« Les risques deviennent le moteur de l’auto politisation de la modernité » U. Beck.
La société du risque connaît une mutation profonde du rapport du citoyen à la politique. Le « citoyen divisé » de la première phase de la modernisation fait place au citoyen interventionniste. Dans la société industrielle le citoyen se partage entre la sphère de ses activités privées et sa participation aux institutions de la démocratie représentative mais il laisse les décisions aux politiques, la foi dans le progrès le dispense de mettre en cause les innovations te


Les initiatives de Développement Durable sont le plus souvent le fait de citoyens regroupés en associations. S’ils interviennent dans la sphère publique c’est pour pallier les carences des élus locaux. Indifférents aux lobbies industriels, ils se font souvent citoyens chercheurs ou citoyens experts afin d’acquérir la compétence qui leur permettra de débattre avec les experts professionnels ou avec les élus, citoyens juristes pour mener des actions en contentieux, etc.
Hermann Scheer, l’un des promoteurs les plus influents des Energies Renouvelables estime que leur développement, dans la mesure où il se fera contre les monopoles des grands groupes centralisés du secteur des énergies fossiles, constitue un enjeu politique majeur. L’alternative, c’est ou bien la constitution d’un Etat énergétique transnational ou bien un développement décentralisé des EnR, favorisant ainsi une d

Nous avons vu que le DD laisse sans réponse un certain nombre de questions :
1) Peut-on faire du développement qui soit « durable » ?
2) Peut-on penser la possibilité d’une société de consommation sobre, sobre dans sa dépense énergétique mais aussi sobre dans sa consommation ?
3) Comment penser les « besoins » du présent et ceux des générations futures ?
Néanmoins avec le débat ouvert sur le DD, ces questions sont désormais posées.
A nous d’inventer les réponses.
Vous connaissez peut-être le poème de Machado :
« Caminante, no hay camino, se hace camino al andar »
On peut le traduire ainsi :

Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin c’est toi qui le trace en marchant
A nous d’inventer la voie, à nous de marcher.
1 commentaire:
C'est ainsi que j'imaginais cette approche du DD pour notre conférence du 24/09. Excellent :) !!
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