samedi 4 avril 2009

COLLOQUE DU 4 AVRIL 2009


LE CERCLE PHILOSOPHIQUE REUNIONNAIS :
LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES
DU DEVELOPPEMENT DURABLE

Texte de mon intervention



« Notre économie globalisée dépasse la capacité de la planète à la soutenir, poussant notre civilisation de ce début de 21ème siècle vers le déclin et peut-être vers l’effondrement ».

Lester Brown


COLLOQUE DU 4 AVRIL 2009


Préambule

Le concept de Développement Durable est omniprésent dans les discours, dans les médias, dans notre environnement culturel, c’est certainement pourquoi il suscite souvent des réactions sceptiques ou résolument critiques.
Pour les uns, le DD n’est qu’une forme très réussie de greenwashing, un habillage rhétorique, une opération de marketing visant à légitimer le productivisme et à renforcer la société de consommation. Effectivement, les « communicants » semblent avoir trouvé là un filon pour leurs messages publicitaires, il suffit pour s’en convaincre de voir la rhétorique « écolo » utilisée pour promouvoir sans vergogne des automobiles plus ou moins polluantes. Le DD est pour les uns un argument de vente comme il est pour d’autres, un argument électoral.
Une autre réaction plus critique et radicale, voit dans le DD un nouvel avatar de la domination exercée par les pays riches sur les pays pauvres, c’est la thèse soutenue par la géographe Sylvie Brunel pour qui le DD est une forme un peu sournoise de recolonisation sous couvert d’écologie, une façon de dire aux pays pauvres, vous n’avez pas de chance, vous avez raté la société d’abondance, maintenant c’est trop tard . Ce n’est pas un hasard si c’est principalement dans les pays riches que la théorie de la décroissance recrute ses adeptes.
Certes, ces critiques recouvrent une part de vérité mais elles méconnaissent ce que peut avoir de nouveau un tel concept. C’est ce que je me propose de montrer en prenant donc le parti de l’accusé. Le concept de DD, c’est en tout cas ce que je vais m’efforcer de démontrer, n’est pas un oxymore douteux servant à préserver un statu quo, il contient en germe une critique du développement économique classique, il prépare le terrain pour une révolution démocratique dans les mentalités en faveur d’une éco-économie pour reprendre l’expression de Lester Brown, une nouvelle économie dont on commence à peine à dessiner les contours.


LA CRISE ECOLOGIQUE

La prise de conscience des destructions environnementales commises par les hommes ne sont pas nouvelles, au 4ème siècle avant notre ère, dans le Critias, Platon déplorait déjà les effets de la déforestation due à l’activité humaine, mais ce qui a changé, notamment depuis la seconde guerre mondiale, c’est non seulement la dimension de la crise écologique, c’est aussi le fait que la prise de conscience de cette crise est devenue partie intégrante de notre conception du monde.
La crise écologique actuelle, profonde au point qu’elle affecte notre façon de penser la société, se caractérise par quatre traits dominants :
• Elle est d’abord planétaire. Le changement d’échelle est spectaculaire, aucun endroit du monde n’est préservé. Le fameux nuage de Tchernobyl en est le révélateur parfait, les frontières n’existent plus. Aucun individu n’est préservé. En une cinquantaine d’année, les produits chimiques sont devenus omniprésents dans notre environnement et dans notre propre organisme au point qu’il est impossible de définir notre physiologie normale et il n’existe plus aujourd’hui de personnes non contaminées qui pourraient permettre par comparaison, de comprendre avec précision les effets de la contamination. Le cas des cultures d’OGM illustre le fait qu’avec le développement de la science appliquée, il n’y a plus d'insularité du champ des expérimentations, comme le dit fort justement Günther Anders, « le laboratoire devient coextensif au globe ». On sait que même les ours polaires de l’Arctique ne sont pas épargnés par les concentrations de PCB ou de DDT.
• Deuxième caractéristique, la plupart des effets de cette crise sont invisibles. La couche d’ozone, le réchauffement climatique, la contamination par les divers polluants présents dans les aliments, dans l’air, l’eau ou notre environnement immédiat, la radio activité, etc., ne sont pas saisissables par les sens. Ulrich Beck évoque « les passagersaveugles de la consommation normale » qui «se déplacent avec le vent et l’eau, sont présents en tout et en chacun, et pénètrent avec ce qu’il y a de plus vital, l’air que l’on respire, la nourriture, les vêtements, l’aménagement de nos lieux d’habitation, toutes les zones protégées du monde moderne, si bien contrôlées d’ordinaire »
• Troisième trait distinctif, l’imprévisibilité des effets sur le moyen et surtout le long terme. Dominique Bourg, philosophe contemporain, donne l’exemple des CFC (les chlorofluorocarbures) inventés en 1928, utilisés industriellement à partir des années 50 et dont on a fini par comprendre dans les années 70 qu’ils détruisaient l’ozone stratosphérique. 6 millions de substances ont été inventées depuis l’apparition de l’industrie chimique, 7000 seulement ont été testées et une trentaine déclarées manifestement cancérigènes.
• Enfin, dernière caractéristique, l’inertie ou plus exactement, l’indécision politique. D’une part, les effets étant planétaires, les décisions sont plus complexes à mettre en œuvre, d’autant plus que les lobbies industriels ont une influence non négligeable sur les décideurs politiques, on l’a vu aux Etats Unis où le gouvernement Bush était en relation étroite avec les lobbies pétro industriels, d’autre part, en terme d’environnement, les résultats escomptés ne sont jamais visibles immédiatement, c’est donc un secteur électoralement peu intéressant pour les hommes politiques.

LE RAPPORT BRUNTLAND

En 1983, l’Assemblée Générale des Nations Unies décide de créer une Commission mondiale sur l’environnement et le développement. C’est Mme Bruntland, premier ministre de la Norvège qui présidera la dite commission à l’origine du fameux rapport Bruntland publié en 1987 dans lequel apparaît le concept de Développement Durable.
Ce document fait un inventaire assez complet, il y a donc plus de vingt ans, des menaces qui pèsent sur l’équilibre écologique de la planète : déforestation, dégradation des sols, effet de serre, démographie, urbanisation, chaîne alimentaire, approvisionnement en eau, énergie, extinction des espèces animales, protection des océans, etc
Le Rapport propose une définition du concept de DD : c’est, je cite, « Un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Comme l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs, une telle définition pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Le terme « développement » est à prendre ici dans son sens usuel de développement économique, politique et social.
L’idée nouvelle, c’est de promouvoir un développement durable contre un développement dont on se rend compte qu’il ne l’est pas. Le terme anglais (sustainable) utilisé dans le texte original qu’on peut aussi traduire par « soutenable », ce qui est plus significatif que « durable », ce terme donc, implique l’idée d’un développement vivable (soucieux de l’environnement), viable (efficace sur le plan économiquement) et équitable (soucieux de la dimension sociale). Il ne s’agit pas seulement de « sauver » la planète en continuant à produire de manière différente mais aussi de favoriser le développement au présent des plus pauvres. C’est là l’une des plus grandes difficultés du DD : comment concilier ces deux objectifs, comment prétendre vouloir « développer » de manière « durable » et s’en tenir à un modèle de développement assujetti au critère du taux de croissance du PIB ?
La notion de besoin n’est pas non plus clarifiée : parler des besoins des générations du présent ou de celles du futur, suppose qu’on soit capable de définir ceux-ci, or, le rapport Bruntland reste silencieux sur ce point. D’une part, les besoins présents sont variables suivant que l’on vit dans une société occidentale développée, la société de consommation de masse, ou dans une société traditionnelle où les rapports marchands sont quasi inexistants, peut-on d’autre part définir à l’avance les besoins des générations futures ?
Cette première définition du DD sera précisée dans les textes publiés lors du Sommet de Rio (nommé aussi le Sommet de la Terre) en 1992 avec notamment l’affirmation des trois piliers : économique, social et environnemental. La question est de savoir comment concilier les trois ?
S’agit-il d’un nouvel avatar de la mythologie occidentale du progrès ? Ces fameux trois piliers ne sont-ils pas au fond une sorte de trépied magique comme le note ironiquement Sylvie Brunel ? Il est possible effectivement de le considérer comme tel si on privilégie le substantif « développement », on peut ainsi noter que lors du Sommet de Rio en 1992, l’accent est surtout mis sur l’environnement et l’impératif de « sauver la planète », bref, le pilier social apparaît comme un peu le parent pauvre. Néanmoins le concept de développement durable poursuit son existence et se leste progressivement d’un contenu plus critique. Le « durable » travaille d’autant plus le concept de développement que la crise écologique devient plus aiguë. Pour le dire autrement, avec le concept de DD, le développement se prend lui-même comme objet, comme problème : il est auto réflexif pour reprendre l’expression de Ulrich Beck. Le durable subvertit le développement.

LA MODERNISATION REFLEXIVE

Nous sommes entrés dans ce que Beck appelle la « modernisation autoréférentielle » ou encore la « modernisation réflexive » qui caractérise la Société du risque pour reprendre le titre de son ouvrage majeur paru en 1986. Ironie de l’histoire, 1986, c’est l’année de Tchernobyl.
1) Que signifie cette expression, « modernisation réflexive » ?
L’auteur introduit une distinction essentielle entre la première modernisation industrielle (Marx) et ce qu’il appelle la « modernisation réflexive » ou seconde modernisation, la nôtre.
Brièvement on peut dire que désormais les maux, les menaces, les dangers encourus ne sont plus perçus comme extérieurs à la société. Alors qu’hier encore les catastrophes ne pouvaient être que des catastrophes naturelles, aujourd’hui nous savons que c’est nous qui les engendrons, c’est pourquoi la société moderne se trouve dans l’obligation éthique de se repenser elle-même, ce que les philosophes appellent la réflexivité.
La « modernisation réflexive » est donc une remise en cause profonde des bases de la société industrielle qui constituait la première modernisation selon Beck. Je le cite : « Contrairement à toutes les cultures et à toutes les phases d’évolution antérieures, la société est aujourd’hui confrontée à elle-même. »
Nous étions habitués à penser la modernité dans les catégories de la société industrielle, aujourd’hui, la modernité dans sa seconde phase, s’en prend à elle même, et pour cela elle st obligée de s’en prendre aux prémisses de la société industrielle.
« Les sources du danger ne sont plus l’ignorance, mais le savoir, plus une insuffisante maîtrise de la nature, mais une maîtrise perfectionnée de cette même nature, plus ce qui s’est soustrait à l’intervention humaine, mais le système de décision et les contraintes objectives nées avec l’ère industrielle »
2) Le concept de société industrielle ou de société de classe de Marx à Weber tournait autour du problème de la répartition des richesses : comment la richesse produite par la société peut-elle être répartie de manière socialement inégale et légitime à la fois ? C’est encore la question que posent à l’échelle mondiale dans le contexte d’une opposition entre l’Occident capitaliste et les pays non ou peu développés, les doctrines du développement inaugurées par Harry Truman en 1949 lors de son discours d’investiture. Le concept de société du risque est à la fois très semblable et très différent : on passe d’une logique de la répartition des richesses à une logique de répartition des risques. Pour utiliser le vocabulaire développementiste si je peux oser ce néologisme, il s’agit de savoir si le développement a pour but comme on le croyait de libérer l’homme des contraintes naturelles ou bien s’il n’a pas plutôt comme but de poser et résoudre les problèmes induits par son propre mouvement. Le processus de modernisation devient réflexif, il est lui-même objet de réflexion et problème. Il en résulte que cette conscientisation intégrée détruit progressivement le mythe du développement, ruine la croyance dans l’idée du progrès.

LE MYTHE DU DEVELOPPEMENT

Gilbert Rist dans un ouvrage désormais classique a écrit l’histoire de la croyance occidentale en l’idée du développement : il a notamment montré l’émergence de cette notion dans l’immédiat après guerre avec le Discours d’investiture de Truman de 1949. Si on laisse de côté l’instrumentalisation idéologique des diverses politiques de développement dans les années 50 et 60 dans le contexte de la guerre froide et de la naissance du tiers-mondisme, on peut remarquer que le dogme explicite ou implicite des doctrines du développement que professent les hauts fonctionnaires qui ont la responsabilité des grandes institutions internationales, renvoie systématiquement au schéma théorique de l’économiste américain Walter Rostow qui définissait la croissance économique comme un processus tendant à évoluer par étapes vers un seul et même but, l’ère de la consommation de masse. Je le cite : « A considérer le degré de développement de l’économie, on peut dire de toutes les sociétés qu’elles passent par l’une des cinq phases suivantes : la société traditionnelle, les conditions préalables du démarrage, le démarrage, le progrès vers la maturité et l’ère de la consommation de masse »
C’est ce substrat théorique des doctrines du développement qui m’intéresse. Car la théorie du DD n’a pas rompu avec cet idéal du bonheur matériel. Certes, le fait de parler de développement « durable » c’est prendre conscience que le développement promu jusqu’ici n’est pas durable. Mais le rapport Bruntland même s’il affirme que des « choix douloureux s’imposent», ne dit jamais qui doit faire ses choix douloureux et préconise d’autre part, une croissance de 3 à 4 % pour les pays industrialisés afin d’assurer l’expansion de l’économie mondiale et garantir ainsi la reprise économique des pays en développement. La principale contradiction du Rapport est là, dans cette croyance que l’on peut d’un côté poursuivre la croissance en préservant la stabilité de l’écosystème et dans le même temps réduire les inégalités. Comment peut-on invoquer le « développement durable » et envisager de relever les défis du futur avec un instrument obsolète, le PIB ? La religion du taux de croissance, cet opium des décideurs politiques, a-t-elle encore un avenir ?
Quoiqu’il en soit, le concept de DD quelles que soient les intentions de ceux qui l’ont conçu, apparaît au fil du temps et avec l’accélération de la prise de conscience liée au réchauffement climatique, de plus en plus incompatible avec la croissance économique mesurée au taux de croissance du PIB.
La croissance du PIB est totalement indifférente au bien-être et à la qualité de la vie, le PIB ne mesurant ni les atteintes à l’environnement, ni les agressions infligées aux individus par le développement industriel. Le mérite du DD est de poser clairement la question des externalités de la croissance, c’est à dire des coûts cachés du développement économique.
Le PIB est une mesure purement quantitative mais elle est au fondement de la société occidentale, la remettre en question, c’est prendre le risque de remettre en cause un « style de vie » auquel peu d’occidentaux sont prêts à renoncer.

LA SOCIETE DE CONSOMMATION DE MASSE

La mondialisation des échanges permet de prélever les ressources (bois, pétrole, eaux) dans un pays, de les consommer ou utiliser dans un autre plus riche et d’en évacuer les déchets ailleurs encore, soit un autre pays plus pauvre soit dans la nature. Ce morcellement a comme effet que le consommateur pollueur ne perçoit pas directement les effets de la consommation. Il peut même se croire vertueux s’il se contente de pratiquer les éco-gestes prescrits par les agences en charge de l’environnement.
Ce qui apparaît de plus en plus contradictoire avec le caractère durable ou soutenable du développement, c’est notre modèle social, économique mais aussi culturel, la société de consommation de masse. Ce modèle ne se réduit pas à produire massivement des biens matériels ou immatériels, il ne se réduit pas à la sphère économique, il prétend manifester sa supériorité sur tous les modèles antérieurs en exhibant sa puissance symbolique. L’abondance suppose le superflu, le trop plein, la gabegie, la destruction des ressources fossiles, l’ivresse de la consommation, la profusion des déchets.
Baudrillard : « C'est ainsi qu'il faut lire l'immense gaspillage de nos sociétés d'abondance. C'est lui qui défie la rareté et qui signifie contradictoirement l'abondance. C'est lui dans son principe et non l'utilité, qui est le schème psychologique, sociologique et économique directeur de l'abondance »
Le mot d’ordre de la Société de Consommation de Masse parodie le principe marxiste : là où Marx justifie le communisme au nom d’une promesse de vie meilleure, « à chacun selon ses besoins », la société de consommation de masse proclame fièrement : « à chacun selon ses faux besoins ».
Tout le monde se souvient des émeutes du Chaudron en 1991. Au delà du fait déclencheur, le trait le plus frappant de ces événements, ce furent les pillages de masse des grand magasins. Dans une société où l’abondance des biens offerts à la consommation s’exhibe de manière ostentatoire mais se dérobe au pouvoir d’achat d’une large partie de la population, le pillage apparaît alors comme le simple revers du gaspillage.
Peut-on penser la possibilité d’une société de consommation sobre, sobre dans sa dépense énergétique mais aussi sobre dans sa consommation ? Il est significatif que l’on promeuve le développement « durable » à une époque où on produit en masse des biens jetables ou dont la durée de vie est de plus en plus brève.
L’expression « DD » doit son succès à une ambiguïté manifeste : pour les écologistes, l’expression signifie que le volume des biens produits doit rester supportable par l’écosystème et que l’énergie utilisée et consommée soit renouvelable à l’infini. Pour d’autres, elle donne l’espoir que le mode de vie de la société de consommation ne sera pas remis en cause. Pour eux, le DD est d’abord « durable », adjectif pris au sens le plus prosaïque de ce qui doit durer, être pérenne. Ce qu’on peut néanmoins retenir, c’est que le DD fait débat, il exige un renouvellement de la pensée et donc de nouveaux concepts.

LE PRINCIPE RESPONSABILITE

Ainsi le concept de responsabilité qui est, à mon sens, au cœur de la problématique du DD. Ce dernier s’appuie en effet sur une conception renouvelée de la responsabilité. J’évoque ici, brièvement Hans Jonas auteur du « Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique ». Être responsable, c’est répondre de ses actes, c’est le propre de l’homme, la responsabilité découle de notre pouvoir et de notre liberté.
Les sociétés aristocratiques du passé ne connaissaient qu’une forme partielle de la responsabilité sous la forme du sentiment de l’honneur propre aux élites et dont les masses sont exclues puisque dépourvues de droits et de pouvoirs. L’individualisation de la responsabilité est allée de pair avec la démocratisation qui égalise les conditions mais elle portait toujours sur les conséquences de nos actes prévisibles et était engagée à l’égard d’êtres qui nous sont contemporains. La grande nouveauté du concept « jonassien » c’est d’inventer une responsabilité à l’égard de personnes qui n’existent pas encore. La puissance technico scientifique que nous exerçons sur notre milieu naturel et humain, est sans commune mesure avec celle du passé, elle fait peser une menace de plus en plus évidente sur la « durabilité » de ce milieu. Donc de l’ampleur de notre pouvoir technicien découle une obligation morale à l’égard des générations futures. Le rapport Bruntland évoque d’ailleurs en termes jonassiens « l’obligation morale à l’égard des êtres vivants et des générations à venir ». Ce n’est pas le lieu ici de discuter des problèmes philosophiques qui découlent d’un tel principe comme par exemple la question de savoir si la nature ou la planète peut être un sujet de droit, mais on le comprend la responsabilité de chacun est au cœur de la problématique du DD.
La peur joue selon Jonas un rôle heuristique, elle est féconde en ce sens qu’elle nous ferait prendre conscience des dangers pesant sur la nature et sur les générations futures en les « éprouvant » en quelque sorte et contribuerait ainsi à forger cette responsabilité élargie. Cette responsabilité ne se manifeste pas seulement au plan éthique, elle a des implications politiques.

LA POLITIQUE

« Les risques deviennent le moteur de l’auto politisation de la modernité » U. Beck.
La société du risque connaît une mutation profonde du rapport du citoyen à la politique. Le « citoyen divisé » de la première phase de la modernisation fait place au citoyen interventionniste. Dans la société industrielle le citoyen se partage entre la sphère de ses activités privées et sa participation aux institutions de la démocratie représentative mais il laisse les décisions aux politiques, la foi dans le progrès le dispense de mettre en cause les innovations technico économiques. Le progrès remplace le scrutin. Dans la société du risque, l’opinion publique s’émancipe et s’immisce dans les débats, les orientations prises par les évolutions technologiques et les mutations qui en découlent deviennent objet de débat public. Les décisions politiques qui engagent l’avenir en s’appuyant sur les avis des experts, sont sommées d’être légitimées et même contestées. Ainsi, alors que dans le même temps, l’Etat se désengage socialement, les citoyens politisent les enjeux et les décisions jugées risquées. Comme le dit Ulrich Beck avec un sens certain de la formule : « la politique devient apolitique ; ce qui était apolitique devient politique »
Les initiatives de Développement Durable sont le plus souvent le fait de citoyens regroupés en associations. S’ils interviennent dans la sphère publique c’est pour pallier les carences des élus locaux. Indifférents aux lobbies industriels, ils se font souvent citoyens chercheurs ou citoyens experts afin d’acquérir la compétence qui leur permettra de débattre avec les experts professionnels ou avec les élus, citoyens juristes pour mener des actions en contentieux, etc.
Hermann Scheer, l’un des promoteurs les plus influents des Energies Renouvelables estime que leur développement, dans la mesure où il se fera contre les monopoles des grands groupes centralisés du secteur des énergies fossiles, constitue un enjeu politique majeur. L’alternative, c’est ou bien la constitution d’un Etat énergétique transnational ou bien un développement décentralisé des EnR, favorisant ainsi une démocratisation locale accrue. L’autonomie énergétique est la clé de l’autonomie politique.

Nous avons vu que le DD laisse sans réponse un certain nombre de questions :
1) Peut-on faire du développement qui soit « durable » ?
2) Peut-on penser la possibilité d’une société de consommation sobre, sobre dans sa dépense énergétique mais aussi sobre dans sa consommation ?
3) Comment penser les « besoins » du présent et ceux des générations futures ?



Néanmoins avec le débat ouvert sur le DD, ces questions sont désormais posées.

A nous d’inventer les réponses.

Vous connaissez peut-être le poème de Machado :

« Caminante, no hay camino, se hace camino al andar »

On peut le traduire ainsi :

Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin c’est toi qui le trace en marchant

A nous d’inventer la voie, à nous de marcher.
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1 commentaire:

CHRISREUNION a dit…

C'est ainsi que j'imaginais cette approche du DD pour notre conférence du 24/09. Excellent :) !!